Rêves de plage.
En ce début de
siècle, dans les années 1910, Meccano n’était pas le seul jeu de construction
en France. Walther-Stabil y est aussi bien
implanté sous le nom bien français de "ARTS et METIERS"
Ces images,
situées sur les boîtes de STABIL ont due faire rêver beaucoup d’enfants….
Imaginez les
magnifiques constructions en sables, châteaux, jetées, routes… que l’enfant
complète avec des ponts, des grues… construit en STABIL ou en MECCANO façon
Effel.
Et la mer bien
présente sous ces ponts, avec même un voilier… Sans oublier le train mécanique
sur ces rails circulant au-dessus de l’eau.
Mais tout cela ne
peut être qu’un rêve, car ces jeux métalliques ne font pas bon ménage avec le
sable et l’eau salée.
Il n’y a que les
Suisses, avec STOKYS tout en aluminium qui pourraient réaliser ce rêve…. Mais
eux, ils n’ont ni la mer, ni la plage et l’illustration des boîtes STOKYS
laisse beaucoup moins de place aux rêves.
Pour ma part, dans
les années 1950, mes souvenir de plage sont fort différents. Bien peu d’enfant
emmenait des jouets sur la plage…
Une ou deux
voitures, quelques cyclistes et des billes. Cela n’allait jamais plus loin.
Souvenir de
Vacances des années 50
Après la guerre, la plage des Sables
d’Olonne a été de nouveau ouverte aux "baigneurs".
Je passais alors mes vacances d’été, du 14
juillet au premier octobre chez ma grand-mère maternelle "nénenne",
avenue Jean Jaurès aux Sables…
Mais pas dans la maison car celle-ci était
occupée par les "baigneurs" ; c’est ainsi qu’aux Sables d’Olonne
on nommait les vacanciers qui arrivaient par trains entiers dès début juillet.
C’était la seule rentrée d’argent, en plus
de la maigre demi-pension de douanier de son défunt mari.
Alors on vivait ces mois d’été au
sous-sol, mal aménagé qui donnait sur une petite cour avec une sortie rue
Anatole France.
L’après-midi, c’était la plage et le soir
je dinais 27 rue Ernest Delvaux, chez mon autre grand-mère, elle aussi coincée
dans deux petites pièces pour laisser le reste de la maison aux
"baigneurs".
Il en était ainsi pour la grande majorité
des Sablais. Après le diner, c’était la partie de carte avec mémé et parfois
quelques voisines de la rue des "veuves" comme elle aimait appeler sa
rue.
J’en ai appris des jeux pendant ces
nombreuses vacances : Margot, Belote, Manille, Bridge, Rami, Canasta et
tant d’autres.
Mais mon préféré, qui se jouait à quatre,
était la Luette (ou l’Aluette) mais plus souvent nommé la Vache Il fallait
apprendre tout un assortiment de grimaces pour se faire des annonces discrètes
entre partenaires.
Que de souvenirs en retrouvant les 48
cartes de ce vieux jeu…
Deux de Chêne, Deux d’Ecrit (escrime),
grand Neuf, petit Neuf, la Vache, le Borgne, la Dame, le Monsieur…
Et n’oublions pas Bise-dur : le cinq
d’écus, une carte sans valeur dont les personnages marquent bien l’origine
espagnole de ce jeu.
L’un des souvenirs marquant de ces
vacances aux Sables d’Olonne était l’interminable voyage en train avec ses
quatre changements : Bernay, Mèzidon, Le Mans, Nantes, La Roche-sur-Yon et
enfin Les Sables d’Olonne.
Aux vacances de 1946, c’est Nénenne qui
m’a accompagné depuis Saint-Hilaire-de-Chaléons, le dernier poste
d’institutrice de maman, jusqu’au Sables.
Et c’est encore elle qui m’a accompagné
jusqu’à Bernay, la nouvelle affectation de mes parents.
Les premières années je faisais le voyage
aller avec Nénenne et le retour avec mes parents qui venaient aux Sables en
septembre après le départ des "baigneurs" du mois d’aout.
Mais en 1947, papa est venu seul me
chercher. Maman était restée à Bernay avec ma petite sœur qui n’avait que cinq
mois. Ce retour fut mémorable, nous sommes revenus par Paris, c’est plus
direct, mais il faut changer de gare. Papa a voulu me faire visiter Paris qu’il
connaissait déjà…
Beaucoup de marche, mais j’ai vu tellement
de chose, Palais de Chaillot, Tour Eiffel, Berge de la Seine, Métro, Château de
Vincennes, où papa avait fait son "régiment" et pour finir le Zoo…
une journée bien remplie.
Nous avons couché à Vincennes chez Tonton,
Tata et Laurette bébé. Puis ce fut le retour à Bernay… Metro et Train.
En 1949, papa a acheté une Peugeot 201.
Cette année, mes parents me conduisirent aux Mans où je devais retrouver une
amie Sablaise qui devait m’accompagner en train jusqu’aux Sables.
Impossible de la trouver… maman me confia
à deux jeunes militaires en leur donnant l’un des éphémères billets de 300
Francs pour les remercier.
Je crois bien que c’est le seul que je
n’ai jamais vu, cela m’avait marqué. Curieusement, j’ai retrouvé cette dame au
changement de la Roche-sur-Yon.
Mais plus tard dès mes 12 ans, j’ai fait bien
souvent ce voyage seul depuis Bernay avec mes deux grosses valises, un livre et
mon tricotin pour occuper ces sept longues heures assis dans mes compartiments
successifs.
A cette époque ma grand-mère maternelle
était décédée et j’étais hébergé chez ma mémé, pendant tout le mois d’aout.
Fini les séjours de deux mois aux Sables.
Quelques années plus tard, je partageais ce séjour chez mémé avec ma cousine
Laurette.
Entre 1947 et 1950, il y avait à proximité
beaucoup de petites boutiques, une épicerie (les Dock de l’Ouest) une
charcuterie, une boucherie, une boulangerie, une mercerie, un coiffeur etc…
J’avais le droit de faire quelques courses
faciles, entre autres, le lait au Dock de l’Ouest qui coutait 18 francs et 50
centimes.
Les pièces que l’on me confiait étaient
soit en bronze soit en aluminium. Les petites pièces de 50 centimes ainsi que
les pièces en bronze ont bien vite disparu de la circulation.
Pour aller au Dock de l’Ouest, il fallait,
en sortant du portail, franchir les rails de la petite ligne de Talmont qui
traversait les Sables en suivant les rues.
Quel plaisir quand on pouvait voir passer
l’un de ces petits trains devant le portail, une petite locomotive à vapeur
(rapidement remplacée par un tracteur diésel) et 2 ou 3 wagons.
A la boulangerie, je me souviens du jour
où pour la première fois de ma vie, j’ai vu du vrai pain, bien blanc. Ma
Nénenne n’en croyait pas ses yeux…
S’en était fini de l’infame mélange de
seigle, d’orge, d’avoine avec si peu de blé, utilisé pour faire une mauvaise
farine grise.
Mais le point le plus important de ces
vacances était la plage où nous allions tous les après-midis avec une chaise
longe en bois pour ma grand-mère un seau et une grande pelle pour moi.
Et dans le seau, tout un attirail
absolument nécessaire sur une plage : un canif, des billes, des craies de
couleur, quelques cyclistes, une petite pelle et des capsules de bière ou de
limonade…
Les capsules, on les ramassait en passant
devant les cafés, c’était la monnaie d’échange commune à tous les enfants de la
plage.
La plage était encore défigurée par quatre
gros blockhaus laissés par les Allemands. Aujourd’hui ils sont toujours là,
mais complètement intégrés au Remblai.
Le plus gros est transformé en jardin
publique, deux autres en rotonde avec bar et le dernier sert de piédestal à la
tour de l’horloge.
Les cartes postales montrent une vue sur
les deux plus gros blockhaus, on ne voit qu’un petit jardin et une belle
rotonde… mais que cachent-il dessous…?
Une fois la grand-mère installée, avec son
tricot, dans son transat sur le sable sec, je pouvais me mettre en maillot et
aller jouer.
En 1948 il était séant d’avoir un maillot
qui couvrait bien le torse. Ce n’est que plus tard que j’ai pu me baigner en
slip... et encore il remontait bien haut.
Notre chienne Fauvette était toujours
présente pour les photos.
La particularité de cette grande plage
(plus de 2 km) était d’avoir un sable très fin qui une fois mouillé et bien
durci, permettait de réaliser des constructions élaborées et toute sorte de
sculptures.
Le jeu à la mode à l’époque était la
"marchande de gâteaux ou de fruits". Un grand trou dans le sable,
entouré d’un rempart bien plat sur lequel on posait ses plus belles
réalisations.
Le sable mouillé du fond du trou
permettait de faire de grosses boules, bien dures que l’on séchait dans le
sable sec avant de les travailler avec le canif.
Le plus classique était le panier… On le
remplissait avec des petites boules en guise de fruits. Les craies de couleur
grattées avec le couteau, donnaient une poudre pour colorer l’ensemble.
Avec les capsules, on passait d’un étal à
l’autre, jamais très loin pour acheter des œuvres bien réussies. En fin de
journée nos boutiques respectives étaient rarement garnies de nos propres
réalisations…
Les garçons plus âgés avaient une autre
conception de ce jeu : leur trou entouré du même muret était un château
fort.
Des boules très nombreuses s’alignaient
sur les remparts et d’un château à l’autre c’était un bombardement intensif au
lieu d’échanges commerciaux.
Il y avait un accord tacite, et les
chevaliers respectaient généralement les marchands.
Mais j’ai souvent vu en fin de journée des
étals remplis de "gâteaux" se transformer en châteaux abondamment
garnis de munitions, quoiqu’un peu colorées.
J’avais aussi une autre façon d’utiliser
ce sable bien dur, en construisant un toboggan pour mes billes. Je réalisais un
tas de sable, bien tassé, presque aussi haut que moi.
Avec la petite pelle, je façonnais un
chemin en spirale descendant du sommet. Il y avait aussi des tunnels en pente
traversant le monticule ; ils étaient réalisés avec le manche de la grande
pelle.
Les billes devaient descendre le plus
lentement possible du sommet jusqu’à un réceptacle : le seau, à la base.
En général je passais l’après-midi à le
construire, avant de l’essayer une ou deux fois et c’était l’heure de partir, à
moins que la marée ait déjà réglé le problème en détruisant ce château de
sable.
Les billes étaient aussi utilisées pour
faire un Tour de France, jeu très à la mode en Juillet où chacun suivait les
exploits de ses idoles.
On construisait un grand circuit à
plusieurs, avec des obstacles, des ponts, des virages relevés. Les billes étaient
positionnées au départ, avec un cycliste en métal à côté.
A tour de rôle, les billes étaient lancées
d’une pichenette et le vélo se plaçait à sa nouvelle position. Et attention aux
sorties accidentelles du circuit car on perdait son tour.
Tous ces jeux de sables, évidemment ne
pouvaient se faire qu’à marée basse… Et les jours où la mer montait, tous se
réfugiaient sur le sable sec près des tentes et du Remblai.
Là pas question de construire un château,
mais il y avait le Mur à monter. Parents, enfants, tous prenaient une pelle et
érigeaient le Mur, sur toute la longueur de la plage.
Plus de deux kilomètres d’un mur souvent
plus haut que moi... ! Généralement c’était suffisant pour empêcher les
vagues d’atteindre les tentes et les transats.
A la moindre brèche, des dizaines de
volontaires colmataient et augmentaient ce gigantesque barrage. Le lendemain,
il n’en subsistait aucune trace et il fallait tout recommencer.
Parfois aux fortes marées, on était
submergé, et c’était une course éperdue vers les nombreux escaliers qui
permettaient d’accéder au Remblai.
Que peut-on faire pour s’occuper, sur une
toute petite étendue de sable, derrière ce haut mur ? C’était l’occasion
d’utiliser le canif. On jouait à la Poire ou au Territoire.
La Poire, c’était le plus facile ; on
dégageait une petite surface de sable dur. On modelait une boule en forme de
poire, puis, à tour de rôle, on coupait une tranche verticale dans la poire.
Celui qui la faisait s’écrouler avait
perdu.
Le Territoire demandait plus d’adresse, il
fallait savoir lancer un canif pour le planter dans le sable.
Après avoir dégagé une étendu de sable
dur, un grand rectangle y était dessiné ; le premier lancé déterminait
deux territoires.
Par la suite on lançait à tour de rôle, le
canif dans le territoire adverse pour le partager et en prendre une partie.
C’est pour cela que mon seau contenait ces
objets indispensables… des billes, un cycliste, de la craie de couleur et un
canif. Soit les élément clés d’une journée plage réussie.
Mais le sable, ce n’était pas tout, il y
avait aussi la mer, lieu de prédilection des "Baigneurs" et des
enfants. A cette époque il fallait attendre au moins deux heures après les
repas pour se baigner.
C’était une croyance populaire bien ancré
et pas question de passer outre.
Il fallait aussi tenir compte des drapeaux
présents tout le long du remblai : Rouge = baignade interdite, vert =
baignade autorisée mais non surveillée et quatre carrés bleu et jaune =
baignade sans danger surveillée.
Inutile de préciser que les enfants ne se
baignaient que si le drapeau jaune et bleu était hissé. La surveillance était
assez folklorique…
Trois barques menées à la rame par de
vieux pécheurs et ancrées à une centaine de mètre du bord.
Les nageurs les plus hardis allaient
jusqu’aux barques pour saluer ces gardiens, mais pas question de dépasser cette
ligne, ils étaient vite rappelés à l’ordre.
Pour se sécher, pas de serviette. La
consigne était de se rouler dans le sable sec jusqu’à la disparition complète
d’humidité. Après on se secouait puis on s’époussetait mutuellement à la main.
Quand il n’y avait plus du tout de sable
sur nous, on pouvait s’approcher de mémé. Il y avait toujours un goûter de
prévu : pain confiture ou pain chocolat.
Mon papa m’avait donné une vieille chambre
à air de sa 203, je la faisais gonfler à la station-service jouxtant la maison.
C’était le bonheur de naviguer sur ce
bateau improvisé, à la grande frayeur de mémé lorsque je m’éloignais un peu
trop. Mais que pouvait-il bien m’arriver, entouré de cette multitude de
baigneurs ?
En septembre je la prêtais à mon cousin
Patrice, elle était aussi grande que lui.
Quand on en avait assez de jouer avec le sable,
l’une des occupations favorites des enfants, était d’utiliser les grands
portiques. Il y en avait quatre, espacés sur la plage.
Ils étaient réservés aux membres des club
payants, mais on arrivait toujours à se glisser entre les surveillants pour utiliser
les grands toboggans ou les agrès. Pendant les fortes marées les toboggans
étaient retirés.
Les départs à la plage étaient devenus une
routine assez folklorique. Laurette et moi partions en avance avec tout le
matériel :
Deux lourds transats en bois, un parasol,
deux grandes pelles un seau garni de l’indispensable et un sac avec les goûters
et parfois une serviette car la technique du sable sec commençait à nous
embêter.
On choisissait un emplacement près des
tentes où on installait tout. Puis mémé nous rejoignait avec son amie madame
Bréard, leurs tricots et leurs livres. Nous pouvions alors aller jouer.
Régulièrement, il y avait des concours de
sable. Ils étaient réservés aux grands. J’aimais aller les observer derrière le
fil tendu qui limitait l’arène.
Chacun rivalisait d’imagination pour ses
sculpture…Animaux, bateau, phare, château, buste, tout était bon pour gagner la
médaille.
Mémé avait une conception curieuse des
repas… Le midi, il y avait toujours une viande ou un poisson, mais le soir,
c’était café au lait avec tartines grillées avec du beure ou de la confiture.
Les confitures de mémé étaient
merveilleuses. Après les marchés, on allait parfois chez un camelot qui avait
son garage-entrepôt dans notre rue.
Des caisses entières de fruits invendus
étaient distribuées pour une somme modique. Prunes, pêches, abricots, on
triait, on enfournait dans une bassine et cela cuisait de longues heures sur la
petite cuisinière à bois du cagibi.
Les dimanches, le café au lait était remplacé
par du pain perdu… un régal.
En septembre, les maisons se libéraient de
leurs "baigneurs". Que de place pour nous seuls. Enfin un accès à
l’évier pour avoir de l’eau.
Fini les deux seaux remplis au robinet de
la cour et placés dans le petit cagibi qui servait de cuisine.
Puis les parents arrivaient. Que de joie
de les retrouver, quoiqu’avec un peu de regret, c’en était fini des jeux de
plages.
Laurette logeait avec ses parents chez
mémé, moi avec les miens dans la maison de l’avenue Jean-Jaurès. Mais nous nous
retrouvions tous pour les sorties journalières.
Elles se faisaient en voiture pour
rejoindre des coins agréables plus éloignés. On s’inventait de nouveaux jeux à travers
les pins ou dans de petites criques perdues où l’on récoltait parfois quelques
palourdes.
Un autre plaisir du mois de Septembre
c’était, à marée basse, la récolte des Pignons, c’est ainsi que les Sablais
appelais les Donax, ces bivalves si nombreux dans le sable de la plage.
On grattait un peu et l’eau faisait le
reste. Bien lavés pour retirer tout le sable, maman les passait à la poêle avec
un peu d’ail et de persil ; c’était un régal, d’autant plus que c’était
notre propre récolte.
Mais c’était la fin des vacances, la mer
était mauvaise à l’approche des marées d’équinoxe, il y avait beaucoup de vent.
C’est comme si les Sables avaient décidé
de nous chasser. La rentrée des classes approchait, c’était le retour à Bernay.